Sur le dos des ukrainiens les grandes puissances se livrent à une surenchère dangereuse pour le contrôle économique et stratégique de la région.
A l’heure où nous écrivons ces lignes le bras de fer entre la Russie, les Etats-Unis et l’Union européenne se poursuit et il semble que l’on soit bien loin des premières préoccupations des ukrainiens descendus dès les premiers jours occupés la place Maiden. Rappelons qu’à l’ origine le mouvement de contestation était motivé par la fracture créée entre d’un côté la grande majorité des ukrainiens soumis à l’austérité, la misère, le chômage, la pauvreté et de l’autre l’enrichissement d’une poignée de politiciens corrompus et d’oligarques aux fortunes colossales. L’aide promise par l’Union européenne (l’Ukraine a besoin d’au moins 35 milliards d’euros pour ses budgets publics d’ici à 2016) a joué comme un miroir aux alouettes. Les aspirations à la démocratie et à la liberté ont fait le reste…Mais très vite cette révolte a été débordée par des éléments ultranationalistes, comme Pravogo Sektora (secteur droit), groupuscule fascisant, ou le parti Svoboda ouvertement antisémite. Ceux-ci ont délibérément cherché l’affrontement, en tirant sur les forces de sécurité. Minoritaires dans le mouvement de protestation à l’origine, ils sont devenus politiquement dominants au fur et à mesure que la situation se dégradait et que montait la violence des affrontements. Aujourd’hui ils ont de nombreux représentants dans le gouvernement auto-proclamé à l’issue des affrontements de Kiev. L’une des premières décisions de ce gouvernement, soutenue par l’Occident, est significative. La libération de l’ex-première ministre, Ioulia Timochenko, considérée par de nombreux observateurs comme le « pion de rechange » de Washington et qui avait passé des accords avec l’organisation fasciste Svoboda lors des dernières élections, devrait inquiéter quant aux choix politiques et économiques à venir…
Ce changement stratégique d’alliance a inquiété Poutine, au point qu’il a ordonné l’envahissement de la Crimée afin de protéger ses forces navales et surtout de montrer qu’il n’était pas décidé à se détourner de l’enjeu géostratégique que représente l’Ukraine, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Depuis plusieurs années le nouveau Tsar s’attache à redonner à la Russie sa puissance économique et militaire et surtout sa place de puissance incontournable dans la gestion des affaires de la planète au même titre que les USA. Il faut voir aujourd’hui dans l’attitude d’Obama et de l’Union Européenne la volonté de tout faire pour affaiblir Moscou et par tous les moyens. Ils s’efforcent notamment de l’empêcher de créer un bloc économique alternatif qui comprendrait l’Ukraine, pays indispensable au développement de la Russie.
Les enjeux stratégiques
Moscou, Washington pas plus que l’Union Européenne ne sont préoccupés par le sort des habitants de cette région. En vérité ces populations sont comme pris « en otage » par les grandes puissances et leurs revendications et aspirations prétextes à ingérences. L’affaire n’est pas nouvelle ! Dès 1997, S. Brzezinski – conseiller à la sécurité Nationale de Jimmy Carter de 1977 à 1981- écrivait à ce propos dans son ouvrage de politique internationale intitulée « Le grand échiquier » : « Sans l’Ukraine, la Russie n’est plus qu’une grande puissance asiatique. Si la Russie reprend le contrôle de l’Ukraine, de ses 52 millions d’habitants, des richesses de son sous-sol et de son accès à la Mer Noire, elle redeviendra une grande puissance s’étendant sur l’Europe et l’Asie. » Autrement dit, l’Ukraine doit être sous domination US. Pour les Etats-Unis, le contrôle de l’Ukraine répond à trois principaux objectifs : renforcer l’OTAN, lutter contre l’influence croissante de la Russie, s’approprier un marché trop fermé.
Cette volonté d’intégration de l’Ukraine a été maintes fois exprimée. En 2007, le Congrès américain a passé un acte par lequel il autorisait « l’aide US pour assister l’Ukraine dans la préparation d’une possible adhésion à l’OTAN. » Juste avant le sommet de Bucarest en 2008, Bush a publiquement déclaré « offrir un fort soutien à la demande de l’Ukraine de recevoir de l’OTAN un plan d’action pour l’adhésion. » Après le sommet, le Sénat américain a passé une résolution exprimant son « fort soutien » à l’idée que « l’Ukraine […] devienne un jour membre de l’OTAN ».
D’autre part, d’un point de vue économique après la chute de l’URSS, l’Ukraine est passée d’une économie largement planifiée par l’Etat à une économie de marché. La plupart de ses entreprises, fermes et terres agricoles ont été privatisées. Les enjeux économiques de la privatisation étaient énormes puisque l’Ukraine –le plus grand pays d’Europe– était à la fois industrialisée et considérée comme le grenier à blé de l’URSS. De plus, elle possédait une main d’œuvre qualifiée et bon marché. Cela a naturellement attiré la convoitise de nombreux investisseurs étrangers et cela le reste aujourd’hui.
Si les Etats-Unis s’intéressent à l’Ukraine, ce n’est pas parce que Moscou menace les droits de l’homme, parce que la presse n’y est pas libre ou parce que la démocratie y fait défaut. Si les Etats-Unis s’intéressent à l’Ukraine, c’est avant tout pour protéger et étendre ses intérêts économiques et géostratégiques et sa zone d’influence.
JPDelahaye.